12 Juil A 3 mois des élections présidentielles, le décès inattendu du Premier Ministre, Amadou Gon Coulibaly, candidat du parti au pouvoir, rebat les cartes sur fond de crise, sanitaire mais surtout économique et sociale
La disparition du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, 61 ans, également candidat du parti au pouvoir, le RHDP (Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix) aux élections présidentielles prévues dans à peine plus de 3 mois, le samedi 30 octobre, si l’épidémie Covid-19 ou l’impréparation ne devait en reporter l’échéance, plonge la Côte d’Ivoire dans une nouvelle période de confusion et d’incertitude.
Elle est aggravée par une crise sanitaire, certes relativement contenue comme sur l’ensemble du continent africain mais dont les conséquences économiques et sociales ébranlent un pays fragile sur la voie de l’émergence. Initialement prévue à 7,2%, la croissance plafonnerait à moins de 1% (0,8%) si la crise perdurait jusqu’en fin d’année. La chute est considérable si on la compare à une moyenne de 8% sur la période 2011-2018, plaçant la Côte d’Ivoire parmi les quelques plus fortes croissances mondiales; la baisse des revenus des ménages est estimée de –43% selon une étude du patronat ivoirien publiée en juin dernier.
Un décès inattendu malgré une santé précaire, au retour d’une hospitalisation de 2 mois en France
La surprise est grande, Amadou Gon Coulibaly, dit « AGC », venant juste de rentrer de France après 2 mois de suivi médical, conduisant à une hospitalisation à la Pitié-Salpêtrière, au lieu des « quelques semaines de repos » annoncées à son départ, avec la pose d’un stent, à la suite d’une greffe du cœur datant de 2012. On le pensait rétabli, prêt à affronter la dernière étape d’une rude campagne présidentielle. Le Ministre d’État, Ministre de la Défense, Hamed Bakayoko, dit «Hambak», maintenant un possible candidat présidentiel, avait même été désigné par le chef de l’État Premier ministre intérimaire, devant ainsi permettre à AGC d’assurer sa convalescence avant de se consacrer à la phase finale de la bataille électorale.
Il est décédé le 8 juillet, moins d’une semaine après son retour de France le 2 juillet, juste après le conseil des ministres du mercredi, le premier qu’il présidait à nouveau. Il avait pourtant repris rapidement ses activités, débutant officiellement le 6 juillet par un entretien avec l’ambassadeur de France, Gilles Huberson. On rappellera qu’une négociation pour un renforcement de la coopération bilatérale, directement suivie par le Premier ministre, vient d’être lancée entre la France et la Côte d’Ivoire, avec l’objectif de la signature d’un 3ème C2D (Contrat de Désendettement et de Développement), après ceux de 2012 et 2014, en phase avec le prochain Plan National de Développement (PND 2021-2025)
Un long et fidèle passé aux côtés du Président Alassane Ouattara
Amadou Gon Coulibaly, technicien reconnu même par ses opposants, fidèle et loyal, « le plus proche collaborateur » du Président Ouattara », « son fils », « son jeune frère » selon les mots mêmes de ce dernier, avait un long passé politique aux côtés de son mentor. Député, maire de Korhogo, une ville du Nord du pays, fief du Président, appartenant à une grande famille sénoufo, Ministre, Secrétaire général de la Présidence de la République dès 2012 et, depuis 2017, Premier ministre, Ministre du Budget et du Portefeuille de l’État, Chef du gouvernement de la République de Côte d’Ivoire.
Candidat du RHDP, le parti au pouvoir, désigné par le Président au moment où ce dernier annonçait son renoncement à un 3ème mandat
C’est donc naturellement que le Président Ouattara l’avait désigné comme candidat à sa succession, le 12 mars dernier, en annonçant, à la surprise de beaucoup, qu’il ne briguerait pas lui-même un 3ème mandat.
Ce choix n’avait pas manqué d’attirer critiques et jalousies au sein même du RDR (le parti présidentiel) et du RHDP, le regroupement de plusieurs partis dominé par le RDR. Au-delà de son état de santé, certains évoquaient son autoritarisme (il était aussi surnommé « Le Lion »), son clanisme en faveur du nord, sa grande discrétion voire son manque de charisme. Des ministres tels Marcel Amon Tanoh (Affaires Etrangères), un proche depuis longtemps du Président ou Albert Mabri Toikeusse (Enseignement supérieur), quittent alors le gouvernement.
Un panorama politique bouleversé à 3 mois des élections présidentielles
A moins de 3 semaines du dépôt des candidatures et 3 mois de l’élection présidentielle, prévue le 31 octobre, la disparition d’Amadou Gon Coulibaly rebat les cartes et les risques d’une montée des tensions sont grands tant au sein du RHDP que dans l’opposition. A ce jour peu de candidats officialisés si ce n’est, au PDCI, la principale formation d’opposition, son président, Henri Konan Bédié, 86 ans ou encore l’ex-chef des rebelles, Guillaume Soro, auparavant aux côtés d’Alassane Ouattara, maintenant désavoué, ex-Premier ministre, ex-Président de l’Assemblée Nationale, exilé depuis la fin 2019 en France, sous mandat d’arrêt, condamné par la justice ivoirienne à 20 ans de prison pour recel de deniers publics et blanchiment de capitaux. Certains évoquent aussi la candidature de l’ex-président Laurent Gbagbo, au titre de son parti, le FPI. Chassé du pouvoir en 2011, après 10 années de règne, il est actuellement en liberté conditionnelle en Belgique depuis son acquittement par la Cour pénale internationale en 2019. Son engagement personnel reste peu probable, l’option d’un rapprochement avec le PDCI paraissant davantage se confirmer.
Au RHDP, l’éventail politique est resserré. Outre la candidature mentionnée plus haut du ministre Hamed Bakayoko, personnalité controversée, celle de Patrick Achi, politicien aguerri, actuel Secrétaire général de la Présidence, transfuge du PDCI, Ministre pendant toutes les années Gbagbo, pressenti également à la Primature dans les derniers mois de la campagne présidentielle, est une possibilité. Avait aussi été évoquée celle du Vice-Président, Daniel Kablan Duncan, autre personnalité du PDCI, ralliée au RHDP, qui serait démissionnaire de ses fonctions actuelles. On ne peut toutefois exclure une nouvelle candidature du Président Alassane Ouattara, ainsi que vient de le déclarer, ce 9 juillet, le directeur exécutif du RHDP, Adama Bictogo. Ce retour sur sa décision, en mars dernier, à 78 ans, de se retirer de la course pour laisser la place aux jeunes générations, se justifierait par la candidature maintenant confirmée de HK Bédié, de près de 10 ans son aîné…Et si la nouvelle constitution limite à deux le nombre de mandats présidentiels, son adoption en 2016, après sa réélection, lui confèrerait le droit de se représenter.
Dans ce landernau ivoirien décidément bien fermé et vieillissant, le nom d’une rare personnalité en partie extérieure au sérail, susceptible de débloquer la situation politique et de redresser l’économie circule depuis quelques mois, celui du Franco-Ivoirien Tidjane Thiam, Polytechnique et École des Mines, neveu du président Houphouët Boigny, Directeur Général du BNETD (Grands Travaux) et Ministre du Plan et du développement sous la présidence de HK Bédié jusqu’en 1999, un financier de haut vol, à la tête ensuite de multinationales, Aviva, Prudential, Crédit Suisse, qu’il a brillamment dirigées.
La bataille reprendra donc avec férocité, réservant sans nul doute de grandes surprises, après le deuil national de 8 jours, décrété jusqu’au 17 juillet, nourrissant dans la capitale économique de la Côte d’Ivoire rumeurs et craintes. « On dit quoi ? », cette phrase qui engage tout dialogue dans les rues d’Abidjan en dit long sur l’incertitude régnante…
Ecoutez : RFI, Invité Afrique , 8 juillet 2020, Venance Konan, écrivain, journaliste, directeur général du quotidien Fraternité Matin, est l’ « Invité Afrique » du 8 juillet de Christophe Boisbouvier (5mn): https://podcasts.apple.com/fr/podcast/invit%C3%A9-afrique/id934352267?i=1000483703223
Sources: RTI, RFI, Reuters, AFP, Ivoirematin.com, Koaci.com, connexionivoirienne.com, Jeune Afrique, Le Monde, Le Parisien, Le Figaro