Forum Afrique 2020 CCI Ile-de-France/CIAN, Paris, 6 février : Situation du continent, ses relations avec ses partenaires, libre-échange

Pour la 9ème année consécutive, le magazine bimensuel du commerce extérieur, Le MOCI, a organisé en partenariat avec le CIAN, une journée Afrique à la CCI de Paris, dédiée aux investisseurs français. Elle a réuni un millier de participants. Le thème choisi, crucial pour le développement du continent, est d’actualité  : Libre-échange en Afrique : quels enjeux ? Il a donc été surtout consacré à la ZLECA, la Zone de libre-échange continentale africaine, ainsi qu’à l’abandon annoncé en décembre dernier par les Présidents Emmanuel Macron et Alassane Ouattara du franc CFA, qui devrait être remplacé par l’Eco. François-Xavier Fauveau, correspondant à Paris du CEFICE, y participait.

Le programme de cette rencontre s’articulait autour des thèmes suivants:

  1. La présentation du Baromètre du climat des affaires du CIAN

 Le CIAN, Conseil Français des Investisseurs en Afrique (http://www.cian.asso.fr/) – 180 entreprises présentes sur l’ensemble des marchés africains – présente son Baromètre du climat des affaires, à partir de l’enquête annuelle qu’il réalise annuellement depuis maintenant 30 ans auprès des dirigeants des entreprises internationales implantées en Afrique.

Evolutions contrastées selon les grandes régions mais fondamentaux globalement encourageants

Le Baromètre s’organise par grandes régions. Si leur évolution est contrastée, si les crises et conflits sont de taille, l’essentiel, comme le souligne le président du CIAN, Alexandre Vilgrain, est que « les fondamentaux demeurent encourageants », la croissance étant une des plus élevées de la planète, la rentabilité des entreprises satisfaisante et le cadre général des économies en amélioration :

  • Afrique du Nord : retour des performances d’avant le « printemps arabe » et dynamisme de l’Egypte
  • Afrique de l’Ouest : taux de croissance particulièrement élevé, à l’exception notable et significative du Nigeria
  • Afrique de l’Est : dynamisme de la région, à l’exception du Burundi et de certains pays de la Corne de l’Afrique qui restent fragiles; grande dépendance cependant du secteur agricole
  • Afrique centrale : là aussi, il y a une reprise, mais certains pays restent très dépendants du pétrole, d’autres ont des enjeux majeurs de pauvreté et de conflit
  • Afrique australe : stagnation.

 

Aperçu macro-économique

  • Le PIB réel de l’Afrique a augmenté de +3,2% en 2019 
  • Les 6 premières économies du continent représentent 65% du PIB
  • Le Nigeria et l’Afrique du Sud sont en difficulté.
  • En 2019, le Togo et la Côte d’Ivoire apparaissent comme en situation particulièrement positive ; toutefois les chefs d’entreprise interrogés sont plus réservés sur le Togo pour 2020.

 

Activité des entreprises

Les entreprises annoncent pour 2019 un chiffre d’affaires et des investissements en hausse, respectivement de + 36% de + 26%.

 

Quelques grandes tendances

  • La situation de l’Afrique s’est-elle améliorée au cours de ces 5 dernières années ? Oui : 45% (+ 8 points en un an); Non : 34% ; Ni améliorée ni détériorée : 21%.
  • Etes-vous confiants ou inquiets pour l’avenir de l’Afrique dans les 5 prochaines années ? Confiants : 64% ; Inquiets 27%, Ni confiants ni inquiets : 9%.
  • Les pays de la CEDEAO veulent lancer une monnaie commune, l’Eco. Trouvez-vous ce projet intéressant ? Oui : 81% ; Non 19%.`
  • Soutenez-vous la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine ? Oui : 93% ; Non : 7%
  • Quels sont les pays non-africains dont vous avez la meilleure image ? Etats-Unis : 48% ; Allemagne : 39% ; Canada : 32% ; Chine 31% ; Grande-Bretagne : 24% ; France : 20% ; Japon : 20% ; Russie 14% ; Turquie 8% ; Belgique :7% ; Qatar 6%.
  • Pour chacun de ces pays, pouvez-vous indiquer si vous les considérez comme des partenaires bénéfiques ? Etats-Unis : 74% ; Chine: 73% ; Allemagne : 68% ; Japon 68% ; Canada : 67% ; Grande-Bretagne : 60% ; France : 56% ; Emirats Arabes Unis : 54% ; Inde : 51% ; Turquie : 50%.

 

  • Les partenaires
  • L’image de la France est stable, à 20%. Il subsiste un indiscutable aspect mémoriel. Et comme l’a exprimé Alexandre Vilgrain, l’autocritique nationale participe à cette image. Il est vrai aussi que les critiques qui peuvent être adressées à la France sont à la mesure de la place qu’elle a occupée et continue d’occuper en Afrique. Ainsi que le note le président délégué du CIAN, Etienne Giros, la France ne fait pas que du commerce. Elle est présente dans plusieurs domaines de la vie, du politique au militaire, en passant par l’éducation et la culture. Ce sont autant d’accroches pour la critique.
  • Les Etats-Unis font un bond de +15%, malgré l’image du Président Trump. Cette perception est notamment portée par la notoriété des GAFA qu’attire la population jeune, composante majoritaire de la démographie africaine.
  • Le Canada voit son score multiplié par 3 ! L’adhésion à ce pays s’expliquerait par les facilités d’obtention de visa pour les étudiants ainsi que par sa position jugée plus positive au regard de l’immigration et de l’Islam.
  • L’Asie est en baisse, en particulier la Chine, critiquée pour son comportement sur les plans de l’éthique, du développement durable et de l’encouragement à l’endettement excessif.
  • Le Japon est en baisse de manière surprenante, peut-être du fait de l’affaire Renault-Nissan.

 

Les grands enjeux à traiter

  • La sécurité : pour 68 % des leaders qui ont répondu à cette étude, la sécurité est un vrai sujet de préoccupation. C’est un bond de 28 points qui est enregistré en un an sur cette question. Sans doute, un impact de la situation dans le Sahel.
  • L’éducation et la formation ( pour 48 % d’entre eux)
  • La distorsion de la concurrence avec la Chine
  • La création de la Zone de libre-échange continentale africaine : elle est plébiscitée, mais plutôt par les leaders d’opinion.

 

2 Les tables rondes

 

Table ronde 1 :  La ZLECA (Zone de Libre-échange continentale africaine) : utopie ou projet raisonnable ?

L’adoption en 2019 de la ZLECA, portée par l’UA, prévue initialement pour être opérationnelle dès juillet prochain, a pour objectif de porter les échanges intra-africains à 23% d’ici 2023 contre 16 % actuellement. Le projet est ambitieux : éliminer les droits de douane sur environ 90 % des biens échangés, réduire les barrières non tarifaires et libéraliser les services entre tous les Etats du continent.

L’adhésion est très forte, avec le soutien des Etats, des autorités locales et des parlementaires africains, malgré encore quelques réticences nationalistes. Tous les pays membres de l’UA, soit 54, à l’exception de la seule Erythrée, ont signé l’accord de libre-échange, après le ralliement du Nigeria et du Ghana au Sommet extraordinaire de l’UA à Niamey le 7 juillet 2019. 27 pays l’ont à ce jour ratifié.

L’Union Européenne soutient activement le projet, par l’intermédiaire de la Direction générale du développement et de la coopération. Notant la pleine adhésion des gouvernements africains, elle l’évalue comme le principal projet structurant de l’Afrique.

Il consacrera l’établissement d’une zone de libre-échange de qualité, avec son appareil normatif, de nature à faciliter les échanges inter-continent mais aussi à contrer les flux illicites (envahissement des produits contrefaits…)

La mise en œuvre va toutefois être longue et ne sera pas homogène à l’échelle du continent. En effet, selon la Banque mondiale, certains grands pays en profiteront rapidement, tandis que le processus sera plus lent pour les petites économies.

Les barrières sont en effet réelles en matière de commerce intra-africain, qu’elles soient douanières ou normatives, mais surtout liées aux infrastructures (réseaux routiers et ferroviaires très insuffisants, ports onéreux) voire aux modes de production (économies d’échelles, diversification). A titre d’exemple, il s’avère moins coûteux d’importer des jus de fruits de Chine ou d’Europe que d’autres pays africains, même voisins. Il en est de même de l’huile de palme, à partir de l’Indonésie.

Une logistique fluide et efficace est donc à mettre en place et les résistances protectionnistes encore fortes devront être surmontées. Ainsi nombre de gouvernements souhaitent posséder, malgré la faiblesse de leur marché intérieur, leurs propres unités de production automobile, à l’instar de Renault-Dacia au Maroc, ou encore de laboratoires pharmaceutiques.

En résumé, si cette zone de libre-échange est l’objet d’une large adhésion et  fournira, une fois réalisée, une nouvelle impulsion aux échanges intra-africains et à l’économie de toute l’Afrique, il apparaît peu probable qu’elle se mette en place à échéance inférieure à 5/10 ans.

 

Table ronde 2 : L’intégration régionale favorise-t-elle le développement du commerce et des investissements intercontinentaux ?

 

L’intégration régionale catégorise 6 grandes zones économiques, comme repris par l’enquête du CIAN : l’Union du Maghreb arabe (UMA), la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (CEMAC), la East African Community (EAC), la Southern Africa Development Comunity (SADC) et la Common Market for Eastern and Southern Africa (COMESA).

Avant tout, les coûts commerciaux sont très élevés : transports, barrières douanières, implantations, prix du carburant, sécurité …

Les ports, notamment, sont congestionnés, avec des délais de traitement des containers beaucoup plus longs qu’ailleurs, et les transports urbains très difficiles.

Dans le cas du transport aérien – 3% du trafic mondial alors que l’Afrique compte 17% de la population du globe – les compagnies locales sont très modestes et, là encore, les coûts d’exploitation très élevés, ce qui explique les prix élevés des billets. Globalement, le trafic intra-africain devrait être multiplié par 3 d’ici 2035. Il reste que beaucoup de compagnies locales n’opèrent que sur des micro-marchés, dépendant fortement du réseau international ; certaines vont donc s’appuyer sur des partenaires hors Afrique pour se développer, par exemple en Amérique du Nord.

Par ailleurs 10% de la production des pays concernés par la ZLECA continuerait à bénéficier d’une protection. Cette autorisation, peut, en pratique annuler une grande partie des avantages de l’accord en sélectionnant de manière stratégique des produits qui conserveront la protection. Pour jouer l’intégration régionale, il serait nécessaire que les produits devant être libéralisés à un stade précoce incluent ceux qui peuvent fournir une échelle significative de diversification en Afrique, trop faible actuellement, concernant notamment les produits manufacturés à forte intensité de main-d’œuvre, et les produits agricoles dans lesquels les pays peuvent développer un avantage comparatif. Il devra aussi être tenu compte des accords déjà en place, par exemple entre le Maroc et l’UE, pour éviter les « interférences ».

Ces obstacles nécessiteront du temps pour être franchis, mais le processus semble irréversible, avec déjà des avancées comme en Afrique de l’Est ou en Afrique de l’Ouest, avec par exemple la ligne ferroviaire Abidjan-Ouagadougou, en phase de réhabilitation. Il apparaît inverse de celui de l’Europe, qui a débuté par une intégration économique, alors que l’Afrique donnerait la priorité à l’intégration politique.

Comme évoqué dans la table ronde précédente, il est à craindre toutefois que se développent des zones à deux vitesses, avec un risque réel pour les petits pays de subir le dumping de voisins plus puissants. La monnaie unique pourrait y remédier, au moins partiellement, allongeant cependant les délais de mise en œuvre.

 

Table ronde 3 : Environnement financier : une monnaie unique, la voie royale pour accélérer les échanges ?

 

Le sujet de la monnaie unique est à resituer dans le contexte polémique de l’abandon du Franc CFA et l’adoption d’une monnaie unique, à horizon rapproché (2020 ?) décidée par les 15 Etats d’Afrique de l’Ouest de la zone CDEAO, regroupant pays francophones et anglophones. Il a été relancé par l’annonce surprise du président ivoirien Alassane Ouattara du remplacement du FCFA par l’Eco, en décembre dernier, lors de la visite de son homologue Emmanuel Macron. Elle s’est produite au lendemain d’un sommet de la CDEAO qui avait encouragé les efforts visant à mettre en place une monnaie unique ouest-africaine d’ici à juillet. Le Nigeria et les autres membres de la zone monétaire WAMZ, anglophones à l’exception de la Guinée Conakry (Nigeria, Ghana, Liberia, Sierra Leone, Gambie) ont en effet dénoncé cette décision, affirmant qu’elle n’était pas conforme au programme adopté par l’ensemble de la région en vue d’une monnaie unique.

Dans ce contexte, la table ronde  a tenté de répondre à  3 questions:

– Le taux de change de cette nouvelle monnaie doit-il être fixe ou flexible ? Un point de vue pragmatique s’est dégagé, d’une parité fixe au début, puis flexible, pour évoluer ensuite vers un schéma intermédiaire mixte.

– Est-il utile, tout simplement, d’avoir une zone monétaire unique ? A l’évidence, une telle zone suscite l’adhésion de tous, pour les avantages repris dans les autres tables rondes : facilitation des échanges, des investissements de tous types, en matière d’infrastructures collectives, de capacité de production des entreprises. Pour autant les Etats doivent accepter certains indispensables transferts de souveraineté et œuvrer pour l’établissement d’une zone économique forte. Les freins sont réels : difficulté des transferts à l’étranger, réserves de change trop faibles…

– Quelles seront les modalités de gestion opérationnelle des banques centrales ? Cette question encore en amont devra cependant être intégrée dès que possible. Elle implique des impératifs, notamment de convergence et de résolution des intérêts divers entre zones UEMOA francophone et ZMOA essentiellement anglophone. Un ancrage à un panier de devises comme en Afrique de l’Est, au Kenya notamment, serait une solution. Il est observé qu’une zone monétaire doit avant tout reposer sur une zone économique forte.

 

En conclusion, cette 9ème édition du Forum a confirmé le mot d’introduction de l’année précédente du président de la CCIP Ile de France, Didier Kling : « L’Afrique s’est bien éveillée ». La France et ses entreprises y maintiennent une présence forte et appréciée mais y apparaissent sur un continent ouvert, concurrentiel, plus exigeant en conséquence dans ses relations avec ses partenaires historiques. L’intégration du continent, condition majeure de son émergence, avance dans les actes et dans les perceptions mais les défis, certains structurels, restent nombreux. Le volontarisme politique qui a présidé à la naissance de la ZLECA et aux avancées de la monnaie unique doit se maintenir voire se renforcer dans la perspective de son plein déploiement dans les années à venir.